Qu’importe la fragrance, pourvu qu’on ait le flacon !

parfum

L’arrêt rendu le 28 Janvier 2014 par le tribunal de commerce d’Alicante vient réalimenter le débat autour de la protection des parfums par le droit. Ce tribunal est venu faire droit aux demandes de sociétés détenant des grandes marques de parfums (dont Carolina HerreraPaco RabanneNina RicciJean-Paul Gaultier) à l’encontre de deux autres sociétés ayant copié ces parfums à fins de commercialisation. Ces sociétés ont été sanctionnées au titre du parasitisme et pour violation de l’exclusivité de la marque.

Il semblerait que l’on soit en train d’admettre que l’imitation d’un bien puisse constituer un acte de concurrence déloyale quand bien même ce bien ne dispose d’aucune protection au titre de la propriété intellectuelle.

Les choses méritent donc d’être précisées. En effet, si une sanction au titre du parasitisme est envisageable pour ce qui concerne l’imitation de la marque du parfum, elle est en revanche bien plus contestable pour ce qui concerne l’imitation de la fragrance du parfum.

Le parasitisme économique se définit, selon la Cour de cassation, comme  « l’ensemble des comportements par lesquels un agent économique s’immisce dans le sillage d’un autre afin de tirer profit, sans rien dépenser, de ses efforts et de son savoir-faire. » (Cour de cassation, Chambre commerciale, 26 janvier 1999, pourvoi n°96-22457).

Or, dans cet arrêt le fait est que les deux sociétés condamnées avaient des méthodes de commercialisation parasitaires puisqu’elles utilisaient des tableaux de comparaisons avec les grands parfums dans le sillage desquels elles se plaçaient, et attiraient ainsi la clientèle en usant de la bonne réputation de ces marques. C’est donc ici au titre du parasitisme économique que ces sociétés se sont vues sanctionnées et non en raison de l’imitation des fragrances des parfums reproduits.

L’action en contrefaçon est possible pour les parfums en cas de reproduction ou d’imitation de l’emballage ou du flacon, protégé au titre des dessins et modèles. On peut aussi envisager une action en contrefaçon de marque en cas de reproduction du signe ou du nom du parfum par exemple.

En revanche, l’imitation de la fragrance du parfum n’est pas en tant que telle sanctionnable en France puisque la fragrance n’est pas protégée au regard de notre droit. Ce n’est pas faute pour une partie de la doctrine et pour certaines juridictions du fond d’avoir tenté d’argumenter sur une possible protection de la fragrance par le droit d’auteur, le droit des marques ou même par le droit des brevets. Mais la cour de cassation maintient son refus (civ 1ère 13 Juin 2006, com 1er Juillet 2008, civ 1ère 22 Janvier 2009, com 10 Décembre 2013), opposant tantôt le défaut de créativité et d’empreinte de la personnalité du créateur, tantôt l’absence de possibilité de représentations graphique d’une odeur, ou encore l’absence de finalité technique.

Alors certes les grands parfums sont souvent imités, copiés et certes l’absence de protection de la fragrance encourage ce type de pratique. Néanmoins est-il opportun de céder au lobby des grands parfumeurs en octroyant une protection juridique tout en sachant pertinemment que cela sera source d’une multiplication d’actions en contrefaçon avec débats d’experts sans fin ?

S’il semble relativement aisé d’apprécier la contrefaçon d’une marque ou d’une œuvre, en ce qui concerne l’appréciation d’une odeur, chose par définition invisible, la difficulté se fait tout de suite sentir !

Par Clémence Ballet