Politique, propriété intellectuelle et vie des affaires
Les pics politiques de ce dernier été, comme les pics de pollution, sont aujourd’hui derrière nous, du moins faut-il l’espérer. On peut cependant revenir un instant sur les relations de la propriété intellectuelle et de la politique qui n’auraient, dit-on, pas de sens en dehors de la notion de « vie des affaires » (ne voyons pas malice à la rencontre non fortuite désormais, et disséquée par les médias, des termes « politique » et « affaires »). Quelques réflexions en désordre.
Chaque élection apporte son lot de pratiques discutables. Il faut communiquer avec son temps. Les candidats à telle ou telle responsabilité ne manquent pas de déposer des noms de domaines et de faire des campagnes sur leurs sites. Il n’est pas rare que la tentation soit grande de « cybersquatter » quelque peu, d’une manière ou d’une autre. Ainsi, par exemple, en 2007, la page d’accueil de l’UMP proposait un lien menant au formulaire d’adhésion du parti socialiste et une redirection vers le site officiel de Ségolène Royal. Ainsi, la même année, un tiers, animé par l’esprit de lucre, déposa le nom <francois-bayrou.fr> et était prêt à le céder au prix de 10 000 euros. Le juge des référés constata au profit de ce prétendant, comme d’autres, aux plus hautes fonctions l’existence d’un trouble illicite (Y. El Shazly, Noms de domaine, « cybersquatting » et campagne présidentielle : Propr. industr. 2007, étude 8, n° 5).
Un fantomatique mouvement dénommé Force Républicaine à l’initiative d’un sieur N. R., titulaire d’un nom de domaine éponyme, cherchait querelle au dépôt ultérieur de la marque Force Républicaine effectué le 26 février 2013 par une association animée par François Fillon. Le sieur R avait, pour sa part, déposé ladite marque et à son profit, le lendemain, 27 février de la même année. Il fut jugé que M. R ne justifiait pas de la réalité de l’existence de droits antérieurs au titre de son nom de domaine ou de l’exploitation de son mouvement susceptibles d’annuler la marque du 26 février, en application de l’article L. 711-4 du Code de la propriété intellectuelle. La marque de N. R., elle, était annulée sur une motivation de fraude au dépôt. Et le tribunal d’ajouter, sans doute rapidement, que l’association promouvant François Fillon ne pouvait pas davantage reconventionnellement articuler contre M. R des griefs de concurrence déloyale, faute d’activité dans la vie des affaires (TGI Paris, 3e ch., 1re sect., 9 oct. 2014, n° 13/13315 : JurisData n° 2014-036770).
On se souvient qu’un parti politique, majoritaire à l’époque, ainsi que des personnes physiques ayant pour nom de famille, insolite, le nom de « Républicains » protestaient de ce que l’Union pour un mouvement populaire (UMP) modifiait sa dénomination sociale sous les termes « Les Républicains » et en déposait la marque. Le juge des référés n’accueillait pas la demande faute de démonstration d’un trouble illicite (TGI Paris, 26 mai 2015, inédit. – Confirmé par CA Paris, Pôle 1, ch. 2, 24 sept. 2015, n° 15/10243 : JurisData n° 2015-021248). Même si d’une certaine façon le nom « Les Républicains » laisse à penser que les autres partis politiques ne sont pas républicains, ou le sont moins (V. notre billet, Débuts de polémiques : Propr. industr. 2015, repère 7).
Les querelles de l’ancien monde concernent aussi la politique d’aujourd’hui. On rapporte qu’un titulaire d’une marque de 2015 La France en marche (formule déjà utilisée semble-t-il pour la propagande du régime de Vichy, puis pour la candidature de Jean Lecanuet en 1965) prétendait faire cesser l’usage argué contrefaisant du mouvement « En marche ! » initié en avril 2016. Le juge des référés écartait la demande en ce que l’usage contesté ne se percevait pas dans la « vie des affaires » et n’était pas un usage à titre de marque (rapporté par E. Larère et E. Vidal-Durand, Les tribunaux rechignent à soumettre les partis politiques au droit des affaires : Le Monde, 16 juin 2017). On notera que la marque En marche ! a été cependant déposée en avril 2016 et qu’il a été jugé opportun de réserver également en mai 2017, pour que cela soit bien clair, la formule additive « La République En Marche ».
Les noms de partis peuvent aussi constituer des slogans (par exemple « Debout la France » de N. Dupont-Aignan). Ces derniers sont de valeur et de force de conviction inégales, et traduisent parfois un humour plus ou moins volontaire : « Le changement c’est maintenant » (F. Hollande 2012) ; « Le temps est venu » (J. Lassalle 2017) ; « Osez Bové » (J. Bové 2007) ; « Une volonté pour la France » (F. Fillon 2017) ; « Ensemble tout devient possible » (N. Sarkozy 2012). Les candidats concernés ne manquent pas de croire indispensable de réserver ces formules à titre de marque pour désigner d’ailleurs des produits ou services parfois éloignés de ce que ces slogans promettent ou promeuvent. Il demeure que ces divers syntagmes, de perception souvent purement promotionnelle ou informative et donc non distinctifs à l’égard des produits ou services visés dans le dépôt et, dès lors, dans la plupart des cas, inaptes à exercer la fonction de la marque, c’est-à-dire inaptes à indiquer l’origine commerciale des produits ou services désignés, ne sauraient constituer des marques valables (V. notre billet : Message publicitaire : Propr. industr. 2010, repère 9). Lesquelles de surcroît ne sont généralement utilisées que pour le temps limité d’une campagne élective.
En revanche, on sait que la protection des œuvres de l’esprit n’est pas liée aux préoccupations marchandes. Ainsi les slogans politiques et les noms de partis pourraient être réservés au titre du droit d’auteur, pour autant que l’œuvre fût originale, comme portant l’empreinte de la personnalité de son créateur. Gageons que les tribunaux, s’ils devaient être saisis, estimeront que « La France doit être une chance pour tous » (E. Macron), ou « Remettre la France en ordre » (M. Le Pen) ne l’est guère, même si, au cas par cas et sans doute exceptionnellement, une propriété pourrait être reconnue à « Nos vies, pas leurs profits » (P. Poutou) ou, dans un autre domaine, et cela a été jugé, pour le « À fond la forme » de Décathlon. Droit d’auteur encore pour les vicissitudes en 2013 du nom du mouvement d’Arnaud Montebourg qui avait été intitulé « La rose et le réséda » sans l’autorisation des ayants droit de Louis Aragon auteur du poème du même nom (publié dans : Journal Le Mot d’Ordre, 11 mars 1943). Sans parler des emprunts des discours de Michelle Obama par Melania Trump ou de François Fillon par Marine Le Pen, qui nous entraîneraient trop loin. En toutes hypothèses, évidemment, hors de la sollicitation des droits privatifs, les copies, usurpations, dénigrements ou agressions verbales peuvent être justiciables de la responsabilité des articles 1240 et 1241 du Code civil.