Nouveaux mots, nouvelles choses, nouvelles règles ?
Dans le désordre et sans hiérarchie, et en anglais évidemment, voici qu’on parle littéralement de (et avec des) « chatbots » (de « chat » : « causette » et « bot » : « robot »). La langue de Molière les nommera « agents conversationnels ». Il s’agit du dispositif employé, notamment par exemple, par les distributeurs de produits (« support clients ») ou les prestataires de services, comme la SNCF, qui permet sur Internet (voire par téléphone) de poser des questions auxdits distributeurs ou prestataires dans un dialogue naturel que le client entretient, en réalité, avec une machine : le (ou la) « chatbot ». La campagne des élections présidentielles de 2017 – bruit et fureur – a ainsi suscité un « chatbot » (appelé « Dédé »), mis en place en mars par le Journal du Dimanche sur sa page Facebook Messenger, et donnant la possibilité d’obtenir à l’occasion d’une conversation avec ledit « Dédé » des informations sur la personne et les programmes des candidats. Il s’agit donc d’un système informatique qui, à l’initiative de l’utilisateur, donne l’impression de converser avec une personne, système qui ne consiste qu’en la mise en œuvre de logiciels et de bases de données complexes, imitant le comportement humain. Intelligence artificielle sans doute, limitée cependant en ce que le système n’appréhende vraiment pas l’information qu’il traite. Les problèmes juridiques susceptibles de se poser n’ont guère d’originalité malgré la nouveauté du terme et susciteront, ici comme ailleurs, des questions de responsabilité (si l’information est incorrecte), de protection des logiciels (brevets, droit d’auteur), de réservation des bases de données et d’éventuelles qualifications unitaires (rappr. la protection des systèmes-experts, ce que ces « chatbots » sont d’une certaine façon).
Dans le monde de l’informatique et de l’activité des entreprises, on fait cas ces temps-ci du « concept » de « Liquid IT ». Cela concerne les technologies de l’information – les ressources informatiques et l’accès à ces dernières, et leurs processus de gestion – fournies et consommées de manière volatile, à la demande de clients, sans localisation particulière. Dans cette perspective, l’utilisateur de ces ressources s’en sert à proportion de ses besoins comme on ouvre ou ferme un « robinet », d’où le terme de « liquid IT ». Ces prestations externalisées comme dans l’usage du « cloud », autorisent une disponibilité immédiate et de grandes performances, avec flexibilité ; les coûts en sont plus facilement maîtrisés et l’utilisation est sans contraintes. Les analyses juridiques menées à propos de l’infogérance seront assurément transposables ; il faudra assurément que les contrats ayant la chose pour objet soient convenablement construits et la délocalisation des systèmes d’information aura pour conséquence, par exemple, qu’une entreprise n’aura pas à conclure de contrats de licence de logiciels installés sur son site, mais conclura des contrats de nature différente, l’accès à l’information étant conçue comme un service (« as a service »).
Mot qui fait du « buzz », lubie numérique selon certains, notion disruptive à laquelle nombre de gens disent ne rien comprendre, la « blockchain » est apparue voici peu. Elle est définie comme une base de données numériques, transparente, sécurisée, historicisée et sans organe de contrôle. Les échanges effectués de pair à pair (P2P) entre ses utilisateurs sont enregistrés en « blocs de transactions » formant une chaîne de blocs. Ce système fonde la mise en œuvre de la cryptomonnaie « bitcoin » mais a des applications dans la conclusion de contrats sur toutes sortes de biens ou de services ; pourrait réduire les coûts de paiements et de transactions, ce qui intéresse les banques et marché financiers ; pourrait faciliter la mise en place de cadastres virtuels pour des pays peu à l’aise avec l’identification des propriétés immobilières (Ghana, Georgie) ; remettrait en cause l’intérêt des plateformes d’intermédiation de l’économie collaborative (utilisateurs contractant directement avec un chauffeur), avec néanmoins quelques inconvénients liés à la forte consommation d’énergie électrique de la mise en œuvre de ce système, etc. Là encore, la nouveauté de l’objet ne modifiera guère l’application des règles communes d’autant que depuis longtemps le droit s’est adapté à la dématérialisation des écrits. La « blockchain » par exemple pourrait permettre de lutter, si cela était nécessaire, contre la reproduction non autorisée d’objets imprimés en trois dimensions en instituant une traçabilité des créations et la rémunération sans intermédiaire des auteurs d’œuvres ou d’inventions. Pareillement, la blockchain pourrait impacter les industries culturelles. C’est la raison pour laquelle le Conseil supérieur de la propriété littéraire et artistique a naguère sollicité deux experts pour explorer l’état des lieux de cette technologie, évaluer ses apports pour la gestion des droits, l’accès aux œuvres et l’optimisation des divers modes d’exploitation. Il faut les souhaiter courageux et peu sensibles aux céphalées.