Pirates !
En « checkant » mes « mails », comme on dit aujourd’hui (que reste-t-il de la bien désuète loi Toubon ?), un message non sollicité d’une « Julia » de « Pirate Parfum.com », – un « spam », comme on dit encore (que reste-t-il des dispositions imposant le « opt in » ?) –, propose de nous fournir nos « fragrances préférées ». Cliquer sur cette rubrique conduit alors à la page d’accueil du site de « Pirate Parfum, Maître Parfumeur » précisant : « Les fragrances les plus grandes, l’impertinence des prix ». Ladite page suggère de « Rechercher votre parfum » et offre par exemple : « Mikonos, Bel Air, Seattle ». Un second clic sur « Mikonos » informe alors : « La publicité comparative est interdite en France. Contactez notre boutique US pour en savoir plus ». Un dernier clic sur le lien « US » (États-Unis, Nous-mêmes ?) renvoie à une page en anglais et présente le flacon de ce nom, de forme banale, donné pour équivalent de « Le Mâle de Jean Paul Gaultier » avec la représentation du flacon original de ce dernier. Suit un tableau de concordance des différents produits de Pirate Parfum, au prix d’environ 30 $, par exemple « Cannes », « our version of La petite robe noire / Guerlain » avec la photographie de son conditionnement, etc.
Dans les années quatre-vingts, à l’occasion des affaires Fabiani ou autres, la pratique des tableaux de concordance entre parfums fut discrètement répandue par des vendeurs à la sauvette ou par des parfumeries ayant pignon sur rue, mais également fermement sanctionnée par les tribunaux. Quelques années passèrent et d’autres entreprises répliquèrent la démarche. Un parfumeur espagnol, la société Equivalenza (le message est clair) fut stoppée dans son développement de franchises en France en ce qu’elle était soupçonnée de vendre des parfums en utilisant des tableaux de concordance de produits de grandes marques (Les échosdelafranchise.com, 18 sept. 2015). La société « Pirate Parfum » précitée (le message est encore plus clair) fut pareillement inquiétée en 2014 (TGI Paris, 3e ch., 3e sect., 11 avr. 2014, n° 12/02594, Lancôme Parfums et Beauté & Cie et a. c/ Pin : ADELEPI, juill. 2014, J. Desaubeau et C. Vautier, adelepi.wifeo.com-90995-I). Celle-ci continue les prospections comme vu ci-dessus (V. dans ce numéro, un arrêt commenté condamnant pour parasitisme le propriétaire du site litigieux, CA Paris, Pôle 5, 2e ch., 17 mars 2017, n° 15/24066, Pin c/ Coty France : Propr. industr. 2017, comm. 47, J. Larrieu).
Les entreprises querellées parmi d’autres avaient argué de la licéité, depuis 1992, de la publicité comparative qui permettait, selon elles, de faire référence aux grandes marques à des fins descriptives. Las, les textes, dans leurs évolutions successives, ne pouvaient cependant autoriser ces tableaux de concordance. L’article L. 122-2 du Code de la consommation dispose en effet que cette publicité comparative ne saurait indûment tirer profit de la notoriété attachée à une marque ni présenter des biens comme une imitation d’un bien bénéficiant d’une marque. La décision Bellure condamnant la pratique était notamment en ce sens (CJCE, 1re ch., 18 juin 2009, aff. C-487/07 : Propr. industr. 2009, comm. 51, A. Folliard-Monguiral. – adde, Cass. crim., 3 nov. 2010, n° 09-88.019 : JurisData n° 2010-022554).
On ajoutera que la reproduction dans ces tableaux des conditionnements des marques cibles est sans doute susceptible de porter atteinte aux droits d’auteur ou de modèles dont disposent ces dernières. On précisera aussi que le fait pour un site clairement destiné au public français de renvoyer par un lien hypertexte à un site apparemment étranger détenu par la même entreprise, lien qui permettrait éventuellement d’afficher les tableaux de concordance, donnés pour illicites en France, paraît bien être une démarche illusoire (rappr. sur le statut des liens hypertexte, CJUE, 8 sept. 2016, aff. C-160/15 : JurisData n° 2016-022801). En tout cas, dans la lutte que mènent les grandes entreprises de parfum, ces dernières auraient sans doute apprécié que le droit positif leur reconnût en surcroît la protection des fragrances par le droit d’auteur. Il n’en est rien, on le sait et la Cour de cassation a jugé que la réalisation d’un parfum n’est pas une création identifiable avec une précision suffisante pour permettre sa communication et n’est pas, dès lors, protégeable (Cass. com., 10 déc. 2013, n° 11-19.872 : JurisData n° 2013-028892 ; Comm. com. électr. 2014, comm. 13, C. Caron). Il paraît bien que l’affirmation soit passablement erronée (V. notre billet : Le nez dehors ? : Propr. industr. 2014, repère 4).
Repère par Christian LE STANC, publié dans la Revue Propriété Industrielle, Editions Lexis-Nexis.
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Sommaire du numéro de juillet 2017: