La possibilité d’une île ? « Frexit » et propriété intellectuelle
En ces temps d’élections, présidentielles et législatives, est apparue l’idée qu’il n’était pas – ou n’était plus – impensable et improbable que la France décidât un jour ou l’autre de quitter l’Union européenne. Cinq des candidats à la magistrature suprême l’envisageaient clairement et la sécession britannique, il est vrai, à la surprise générale, avait ouvert la voie.
Si le « Frexit » devait ainsi advenir, outre assurément les incalculables autres conséquences qu’emporterait sans doute la décision dans nombre de domaines, il importerait de mesurer, pour nous, ses effets sur les droits de propriété intellectuelle, avec il est vrai un moindre impact sur le droit de la propriété littéraire et artistique. Les problèmes, multiples, ont déjà été identifiés, mutatis mutandis à propos du « Brexit » de nos voisins d’Albion (V. notre billet, Du brouillard sur la Manche : Propr. industr. 2016, repère 8).
S’agissant des brevets, la sortie de l’Union européenne ne remet évidemment pas en cause les brevets obtenus par la voie européenne et désignant la France, l’Office européen des brevets n’étant pas une institution de l’Union européenne. En revanche, le brevet à effet unitaire, de gestation difficile au terme de plusieurs décennies, qui allait laborieusement voir le jour en application du « paquet brevet » de deux règlements européens et d’un accord international sur une Juridiction unifiée des brevets, était soudain paralysé ou du moins fortement retardé en conséquence du « Brexit » (V. d’un optimisme mesuré pour surmonter les obstacles, P. Marollé et H. Mignon, To ratify or not ratify : Propr. industr. 2017, étude 4). Il paraît bien alors qu’un « Frexit » qui interviendrait tandis que ce brevet unitaire serait en cours de mise en place, malgré le « Brexit » et la dénonciation du Traité de Maastricht par la Grande-Bretagne, risquerait fort, cette fois, de signifier l’arrêt définitif du projet.
Si « Frexit » il devait y avoir, les marques, désormais « de l’Union européenne », instituées initialement par le règlement (CE) n° 40/94 du 20 décembre 1993, pourraient continuer d’être déposées et ces marques continueraient d’avoir effet pendant toute la période de deux ans (renouvelable) donnée par l’article 50 du Traité pour organiser le retrait à partir de la notification officielle de la décision. Il en serait de même pour les dessins ou modèles communautaires. Passé ce délai, les futurs déposants pourront procéder au dépôt d’un titre unitaire couvrant les vingt-six États membres et devront se préoccuper de se protéger en France par un titre national. Les titres déjà déposés auprès de l’EUIPO devraient alors être normalement privés d’effets en France, à moins que des accords particuliers prévoient une conversion automatique pour le territoire national français ou bien que les titulaires puissent pendant un certain temps solliciter la conversion en France de pareille marque. Quid d’une possible déchéance de ladite marque de l’Union européenne qui n’aurait été exploitée qu’en France (rappr. CJUE, 19 déc. 2012, aff. C-149/11 : JurisData n° 2012-030891 ; Propr. industr. 2013, comm. 9, A. Folliard-Monguiral) ?
Par ailleurs, si la France quittait l’Europe, on notera que la première commercialisation en France régulière d’objets incorporant des droits de propriété intellectuelle n’épuiserait pas les droits des titulaires de s’opposer à l’exploitation de ces objets dans les pays membres de l’Union et plus généralement de l’Espace économique européen, sauf demande de la France d’adhésion à l’EEE ou négociation avec l’Union européenne d’un statut particulier.
On observerait en tout cas qu’un « Frexit » rigoureux ferait globalement échapper notre propriété intellectuelle, non seulement aux règlements de l’Union européenne, mais à ses directives et à la jurisprudence de ses juridictions. Au chapitre des avantages, sur ce dernier point, le juriste français ne regretterait probablement pas d’avoir à lire moins souvent les interminables arrêts du Tribunal de l’Union européenne ou de la Cour de justice.
Sommaire du numéro de juin 2017: