La personne intéressée à la déchéance d’une marque
La marque, comme tout droit de propriété intellectuelle, octroie à son détenteur un droit d’exclusivité, or chacun sait que le revers de l’exclusivité est l’exclusion, et qu’à ce titre il est indispensable de limiter et d’encadrer ce droit.
Ainsi l’article L714-5 du code de propriété intellectuelle vient sanctionner par la déchéance le non-usage de la marque, sans justes motifs, pendant une durée ininterrompue de cinq ans. Si les questions ayant suscité le plus de débats se concentrent autour du juste motif, du sérieux de l’usage ou encore du caractère ininterrompu de la période de non-usage, il n’en reste pas moins que c’est un point du texte bien plus secondaire qui cause des divergences majeures d’interprétations au sein de nos juridictions.
Effectivement, l’alinéa 2 de ce même texte dispose : « la déchéance peut être demandée en justice par toute personne intéressée », et c’est sur l’interprétation de cette personne intéressée que les courants s’opposent.
Plusieurs décisions sont venues assimiler les notions de « personne intéressée » et « d’intérêt légitime », rapprochant cette disposition de droit des marques à la disposition générale concernant l’ouverture de l’action en justice que l’on retrouve dans le code de procédure civile (article 31), et méconnaissant par cette assimilation hasardeuse la règle de primauté d’une disposition spéciale sur une disposition générale.
Pour mettre fin à une divergence source d’insécurité juridique il convient d’une part de rappeler l’objectif poursuivi par le législateur au travers de cette disposition ; d’autre part de s’en référer aux textes européens.
Ce texte a été introduit dans le code de la propriété intellectuelle pour lutter contre un phénomène bien spécifique : le dépôt massif de signes jamais exploités par la suite donc restreignant considérablement le champ des possibilités pour les futurs déposants. Ainsi la déchéance de la marque permet de rendre de nouveau accessible un signe jusque là bloqué en toute illégitimité.
Donc de toute évidence, par l’expression « toute personne intéressée », le législateur a voulu étendre au maximum les possibilités d’introduction de cette action en déchéance.
Mais cette manie de décortiquer les moindres mots d’un texte -jusqu’à parfois dénaturer totalement la volonté du législateur- ayant encore frappé, il semble nécessaire de rappeler que si le texte national ne leur semble pas suffisamment clair, il est toujours possible, voire désormais conseillé, de se reporter aux directives européennes, qui comme chacun sait s’imposent à l’ordre juridique interne.
La directive n°2008/95/CE du 22 Octobre 2008 sur les marques n’invoque en aucun cas la nécessité d’un intérêt légitime pour agir en déchéance, quant à la directive n°207/2009/CE du 26 Février 2009 régissant la marque communautaire, celle-ci ouvre l’action en déchéance à « toute personne ayant la capacité d’ester en justice » (article 56). On voit là clairement la volonté d’ouvrir le plus largement possible la possibilité de cette action en déchéance de la marque.
Il n’y a donc aucune raison pour que les juridictions françaises continuent à opter pour des interprétations qui n’ont pas lieu d’être, qui méconnaissent à la fois la primauté du droit européen sur le droit interne et à la fois la finalité de cette disposition qui est, rappelons-le, de lutter contre l’exclusion des concurrents à l’accès à un signe objet d’une exclusivité illégitime.
Par Clémence Ballet