LA FORCE MAJEURE A L’EPREUVE DU COVID-19
Si l’épidémie de COVID-19 qui frappe le monde aujourd’hui est avant tout un drame humain, elle pose aussi de nombreuses questions juridiques.
En effet, nous avons tous, en cours, des obligations, desquelles nous sommes débiteurs ou créanciers, à échoir durant cette période de confinement, encore prévue pour une durée indéterminée.
Une réservation de séjour ?
L’organisation d’un événement ? Un mariage ?
Des approvisionnements ? Des livraisons à honorer ?
Chacun d’entre nous se trouve, en cette période, confronté à de nombreuses et légitimes questions sur nos situations contractuelles en cours … faut-il payer ? livrer ? annuler ? rembourser ?
Bref, que faire ?
Le COVID-19 est-il un cas de force majeure nous permettant de nous exonérer de nos obligations contractuelles ?
LE CADRE LEGAL DE LA FORCE MAJEURE : LES CONDITIONS
L’article 1218 alinéa 1er du Code Civil dispose que : « Il y a force majeure en matière contractuelle lorsqu’un événement échappant au contrôle du débiteur, qui ne pouvait être raisonnablement prévu lors de la conclusion du contrat et dont les effets ne peuvent être évités par des mesures appropriées, empêche l’exécution de son obligation par le débiteur. »
Suite à la réforme du Droit des contrats de 2016[1], la nouvelle formulation du texte met en exergue en les reformulant, les trois conditions cumulatives de l’ancien article 1148 du Code Civil : l’événement doit être extérieur (A), imprévisible (B) et irrésistible (C) au débiteur de l’obligation.
L’EXTERIORITE
L’événement doit « échapper au contrôle du débiteur » : il ne doit donc pas être à l’origine de la situation.
Plus précisément, la situation doit être extérieure au pouvoir du débiteur et pas à sa personne ; c’est-à-dire que si le débiteur ne peut pas exécuter son obligation à cause d’une maladie, cela peut être considéré comme un cas de force majeure, dans le cas où la survenance de la maladie remplit aussi les autres conditions.[2]
« Mais attendu qu’il n’y a lieu à aucuns dommages-intérêts lorsque, par suite d’une force majeure ou d’un cas fortuit, le débiteur a été empêché de donner ou de faire ce à quoi il était obligé, ou a fait ce qui lui était interdit ; qu’il en est ainsi lorsque le débiteur a été empêché d’exécuter par la maladie, dès lors que cet événement, présentant un caractère imprévisible lors de la conclusion du contrat et irrésistible dans son exécution, est constitutif d’un cas de force majeure ».
Dans le cas du COVID-19 il ne fait aucun doute que celui-ci échappe au contrôle du débiteur car le virus échappe malheureusement à tout contrôle humain.
L’IMPREVISIBILITE
L’événement ne doit pas pouvoir « être raisonnablement prévu lors de la conclusion du contrat » .
Bien que l’imprévisibilité soit avant tout un critère de temporalité, il serait réducteur de considérer que l’antériorité de l’évènement par rapport à la conclusion du contrat suffirait à qualifier celui-ci d’imprévisible.
A titre d’exemple la Cour d’Appel de Saint-Denis de la Réunion avait jugé qu’un contrat de travail conclu après l’apparition du virus du chikungunya ne pouvait succomber à la force majeure, l’épidémie étant notoirement connue et fréquente au moment de la conclusion du contrat[3].
La Cour d’Appel de Nancy ayant quant à elle annihilé le caractère imprévisible d’une épidémie compte tenu de la facilité d’accès aux informations officielles et quotidiennes sur son évolution, complétées par des données émanant de sources diverses[4].
Ainsi, l’étude de cette condition relèvera du pouvoir souverain des juges du fond qui l’analyseront au cas par cas eu égard les circonstances de l’espèce.
Dans le cas du Coronavirus, la question se posera de savoir si l’épidémie et ses conséquences étaient prévisibles lorsque le contrat s’est formé, en d’autres termes, si les parties savaient ou, pouvaient raisonnablement savoir que les effets du virus, dont le confinement, allaient empêcher l’exécution à venir de l’obligation.
En bref, pas de force majeure si l’épidémie préexiste au contrat.
Il s’agit donc de déterminer à partir de quel moment une personne pouvait raisonnablement penser que l’épidémie COVID-19 allait empêcher l’exécution de son contrat.
Dès lors, il est possible d’imaginer plusieurs « points de départ » de prévisibilité qui dépendraient du contrat en cause et de l’obligation à exécuter, cela pouvant être la date d’arrivée du virus en Chine ou en France ou bien encore la date à laquelle l’Organisation mondiale de la Santé en a fait un risque France, …
L’OMS a en effet qualifié l’épidémie de COVID 19 de « pandémie mondiale » le 11 mars 2020[5] ; la date de prévisibilité pourrait donc être fixée par les juges autour de cette date.
A titre d’exemple, suite à cette annonce, la plateforme Airbnb a très rapidement régit en modifiant sa politique relative à la force majeure, considérant dès lors que toute réservation faite au plus tard le 14 mars 2020 pouvait être annulée sans frais[6].
Airbnb a donc fixé une date de prévisibilité marquant la date à partir de laquelle le débiteur s’engage en connaissance de cause et où il ne peut y avoir d’imprévisibilité et donc de force majeure.
Ainsi, pour toutes les réservations postérieures au 14 mars 2020, la politique de force majeure ne s’appliquera pas et le voyageur est considéré comme s’étant engagé en connaissance de cause, écartant la condition d’imprévisibilité.
L’IRRESISTIBILITE
Les effets de l’évènements ne doivent pas pouvoir « être évités » : il doit s’agir d’un obstacle insurmontable pour le débiteur.
Dans le cas de l’épidémie de Dengue, il avait été jugé[7] que celle-ci ne présentait pas un caractère irrésistible compte tenu de l’ampleur de l’information diffusée, de sa faible affectuosité ainsi que du faible nombre de causes ayant présenté des complications.
S’agissant du COVID-19, il s’agira de déterminer quels sont ses effets et si ceux-ci auraient pu être évités par des mesures appropriées.
D’une part d’effets sur la santé, qui seront, selon toutes vraisemblances, considérés comme irrésistibles -inévitables- dans le cas d’un débiteur positif au COVID-19 ; d’autre part, il peut s’agir des conséquences du confinement de la population ; celui-ci ne pouvant être évité que pour les cas limitatifs prévus par le décret n°2020-260 du 16 mars 2020 (les cas limitatifs bien connus des attestations de déplacements dérogatoires) ; ainsi, dans ces quelques cas seulement les effets du confinement créé par le COVID-19 sont évitables et la force majeure écartée.
En synthèse, l’analyse des conditions de la force majeure dans le cas du COVID-19 doit reposer sur une étude attentive des faits qui entourent le cas d’espèce.
Par exemple, il est fortement probable que la force majeure soit reconnue dans le cas d’un contrat conclu avant l’apparition du virus en Chine ; mais qu’en est-il si ce même contrat a été conclu après les premiers signes du virus en Chine ? ou après l’arrivée du virus en Europe ? voire même après les mesures prises par le Président de la République à la mi-mars ?
Il n’est pas à exclure que la connaissance de la propagation du virus fasse entrave à la reconnaissance de la force majeure eu égard au défaut d’imprévisibilité.
L’appréciation des conditions relevant de l’interprétation des juges du fond au regard des circonstances particulières de chaque espèce, aucune solution ne peut donc aujourd’hui être affirmée.
Il ne s’agira que de solutions au cas par cas.
LES EFFETS DE LA FORCE MAJEURE
L’article 1218 alinéa 2nd du Code Civil dispose que : « Si l’empêchement est temporaire, l’exécution de l’obligation est suspendue à moins que le retard qui en résulterait ne justifie la résolution du contrat. Si l’empêchement est définitif, le contrat est résolu de plein droit et les parties sont libérées de leurs obligations dans les conditions prévues aux articles 1351 et 1351-1. »
Les effets de la force majeure vont donc différer selon que l’événement entraîne un empêchement temporaire (A) ou définitif (B).
EMPECHEMENT TEMPORAIRE
Dans le cas de la survenance d’un évènement de force majeure générant un empêchement temporaire, le contrat concerné sera suspendu jusqu’à ce que l’évènement ait cessé.
Ainsi, l’exécution du contrat par les parties restera due, mais elle sera reportée.
Dans le cas du COVID-19, l’empêchement peut être temporaire s’il s’agit du confinement, que l’on sait, même si son terme n’est pas exactement déterminé, temporaire.
L’empêchement peut également être temporaire si le débiteur a contracté le coronavirus et qu’il n’est empêché que pendant le temps de sa maladie.
Dans un tel cas, le débiteur sera tenu d’exécuter son obligation dès retour à la normale de sa situation.
EMPECHEMENT DEFINITIF
Dans le cas de la survenance d’un évènement de force majeure générant un empêchement définitif, le contrat est annulé, il n’existe plus et le débiteur est libéré de son obligation.
On parle alors de résolution du contrat, ce qui signifie que celui-ci est réputé ne jamais avoir existé et les parties sont remises dans l’état qui était le leur avant la conclusion du contrat ; ainsi, par exemple, si des sommes ont été versées, elles seront restituées.
Dans le cas du Coronavirus, l’empêchement sera malheureusement définitif en cas de décès du débiteur si l’obligation ne peut être transmise à ses ayants-droits ou si l’obligation devait, de manière essentielle, être exécutée durant la période de confinement.
Ainsi, la qualification de l’empêchement dépendra de la nature du contrat et de celle de l’obligation à exécuter.
AUJOURD’HUI, CONCRETEMENT, QUE FAIRE ?
Le 28 février 2020, le ministre de l’économie et des finances, a expliqué que le coronavirus était un cas de force majeure pour les entreprises, justifiant l’inapplication des pénalités en cas de retard d’exécution des prestations contractuelles.
Cependant, en l’application du principe de la séparation des pouvoirs, la qualification de « force majeure » retenue par le Ministre ne s’impose pas de facto aux juges.
Le 16 mars, le Président de la République annonçait quant à lui des mesures particulières pour les professionnels telles que la suspension des loyers, les factures d’eau, de gaz, d’électricité, pour lesquelles nous sommes toujours en attente de précisions.
S’agissant de tous les autres contrats et sans précision du gouvernement, peut-on dès lors, se délier de ses obligations contractuelles en invoquant la force majeure ?
Symétriquement, notre débiteur, peut-il invoquer la force majeure pour justifier son inexécution ?
La jurisprudence a pu se prononcer sur la qualification de force majeure de la survenance d’une épidémie par le passé ; notamment au regard des annulations de voyage.
La Cour d’Appel de Nancy, en 2007, n’avait pas qualifié l’épidémie de Dengue d’évènement de force majeure considérant que celle-ci ne remplissait pas la condition de l’imprévisibilité car elle se produisait régulièrement, ni la condition d’irrésistibilité compte tenu du fait que la possibilité de mesures de protection contre les piqûres de moustiques étaient parfaitement envisageables. Dès lors, la Cour en conclut que l’épidémie n’était pas exonératoire de l’obligation de payer le voyage réservé[8].
De manière similaire, au sujet de la survenance d’une épidémie de peste dans une région voisine d’une escale de croisière, la Cour d’Appel de Paris considéra que celle-ci ne présentait ni un caractère suffisamment certain ni une gravité suffisante pour être qualifiée de force majeure ; de plus la protection contre le risque de contagion pouvait être assurée par la prise d’un traitement antibiotique préventif. Ainsi, cette épidémie ne justifiait pas l’annulation des réservations effectuées.[9]
S’agissant du caractère irrésistible de l’épidémie COVID-19, il s’agira ici de savoir s’il était possible pour les voyageurs de se prémunir contre les conséquences du virus ; compte tenu de l’absence de traitement et de vaccin, cette condition semble remplie dans le cas du Coronavirus.
Dès lors, la qualification de force majeure aura tendance à être écartée par les juges lorsque l’épidémie est connue, endémique et non létale ; en effet, en matière touristique, la dangerosité de la maladie est souvent prise en compte pour légitimer une annulation.
Plus globalement, qu’en est-il au regard de l’inexécution d’une obligation ? Le débiteur peut-il invoquer la survenance d’une épidémie pour s’en dédire ?
En 2004, lors de l’épidémie de grippe H1N1, la Cour d’Appel de Besançon avait refusé sa qualification en cas de force majeure, la condition d’irrésistibilité faisant défaut.
La Cour souligna en l’espèce que l’épidémie avait été largement annoncée et prévue et ce, avant-même la mise en œuvre de la réglementation sanitaire que cherchait à évoquer le débiteur de l’obligation. [10]
Un autre arrêt plus récent de la Cour d’Appel de Paris[11] nous rappelle également l’importance de démontrer le lien de causalité entre l’évènement de force majeure et l’impossibilité d’exécuter l’obligation ; la Cour d’Appel, sans écarter le caractère de force majeure de l’épidémie EBOLA en Afrique de l’Ouest qui aurait privé de clientèle les filiales du débiteur d’une dette envers l’URSAFF, a pour autant relevé que ces derniers ne démontraient pas que le défaut de trésorerie était lié à l’épidémie EBOLA.
La qualification de force majeure de l’évènement en cause n’est donc pas suffisante.
Dans le cas du COVID 19, les enseignements à tirer des exemples passés sont nombreux, le débiteur devra donc prouver d’une part qu’il n’a pas pu anticiper les obligations sanitaires ou le confinement et d’autre part qu’il ne lui a pas été possible pour lui de trouver des solutions alternatives.
En outre, le débiteur devra établir qu’il existe un lien de causalité entre l’impossibilité d’exécuter son obligation et l’épidémie.
En pratique, les effets de la force majeure sur la relation contractuelle sont souvent prévus dans le contrat par une clause dédiée, les parties demeurant libres d’en aménager la définition ou de moduler ses effets au travers de divers mécanismes tels que l’obligation d’information du cocontractant, la suspension des prestations, la renégociation, …
Le premier réflexe sera donc de se plonger dans les documents contractuels afin d’analyser toute clause de force majeure pouvant y être insérée et notamment, dans le cas d’une obligation de renégociation, de s’y conformer de bonne foi, les juges étant très exigeants sur ce critère en cas de litige.
En d’autres termes, ne pas recourir immédiatement à la résiliation si le contrat en cause contient une obligation de renégociation en cas de force majeure.
Notre cabinet LE STANC & ASSOCIES vous accompagne et répond à vos interrogations concernant l’application de la règlementation sur la protection des données à caractère personnel.
Pauline DEVILLE DE PERIERE – LE STANC & ASSOCIES
[1] Ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations
[2] Cass. Ass. Plén., 14 avril 2006, n°02-11.168
[3] CA, Saint-Denis, 29 décembre 2009, n°08/02114
[4] CA, Nancy, 1re chambre civile, 22 Novembre 2010, n° 09/00003
[5] https://www.who.int/fr/dg/speeches/detail/who-director-general-s-opening-remarks-at-the-media-briefing-on-covid-19—11-march-2020
[6] https://www.airbnb.fr/help/article/2701/politique-relative-aux-cas-de-force-majeure-et-coronavirus-covid19
[7] CA, Nancy, 1re chambre civile, 22 Novembre 2010, n° 09/00003
[8] CA Nancy, 22 novembre 2010 précité
[9] CA Paris, 25 septembre 1998, JurisData 1998-024244
[10] CA Besançon, 8 janvier 2014
[11] CA Paris, 17 mars 2016, n°15/04263